La quête Arthurienne et ses étapes
Pourquoi s’intéresser au personnage de guerrier et pourquoi l’associer à la notion de cycle ?
Parce que tel qu’est défini ici le guerrier, sa vie pleine de sens et qui marque les esprits nous inspire. Parce qu’à tous les moments charnières des cycles de l’histoire, il est présent au cœur des événements cruciaux pour servir de repère. Enfin, compte tenu de la tournure incertaine que prend le premier quart du XXIème siècle, chercher la façon dont ce modèle pourrait se décliner aujourd’hui semble particulièrement opportun.
Ce cycle s’articule en six parties : la première décline un modèle général de guerrier, les cinq suivantes s’appuient sur des guerriers mythiques ou des groupes. L’ensemble tente, à l’échelle du globe et depuis 2500 ans, de déceler à la fois une universalité et des particularités du guerrier qui évoluent dans le contexte historique. Mais une évolution vers quoi ? Peut-être, avec le 21ème siècle, vers ce qu’on a nommé le guerrier pacifique, lettré et poète. Le cycle permet de plonger dans l’entre deux, l’apnée entre l’inspire / expire, le vide médian pour s’imprégner autrement. C’est l’espace et le temps où les points de vue, les questions et les réponses peuvent se rencontrer sans changer pour autant mais ce faisant vont permettre l’émergence de nouveaux points de vue, de nouvelles questions et réponses.
Par la lecture des six parties de ce cycle du guerrier, on invite chacun à s’interroger sur la neutralité ou pas de l’histoire et le sens à donner à sa propre vie
Partie 2 : La quête Arthurienne et ses étapes
Dans le premier thème de ce cycle en rapport avec le guerrier, nous faisons l’hypothèse que tous les guerriers lettrés et poètes passent par une quête en 3 étapes : la préparation, la mise à l’épreuve et le retour.
Nous entrerons ici davantage dans le détail de ces trois étapes en évoquant les chevaliers de la table ronde et plus particulièrement la quête Arthurienne.
On situe le début des récits arthuriens à la fin de l’empire romain en Angleterre aux alentours du 5° siècle Ap. JC. Ils perdureront oralement jusqu’à l’apogée de la chrétienté, la période des cathédrales et ce n’est qu’au 12° puis 13° siècle, avec notamment Chrétien de Troyes, que la quête est traduite par écrit. Il y a donc de très nombreuses interprétations qui parfois se recoupent mais aussi s’opposent. Ce qui ici a dicté le choix du déroulement de la quête est l’utilisation du langage symbolique, non pas à la recherche d’hypothétiques vérités historiques, ce qui n’est pas sa fonction, mais plutôt à la recherche du sens de chaque personnage dans cette quête et de ses moments clés. Alors émerge l’espérance qu’une trame à la fois universelle et bien spécifique à cette période de l’histoire puisse se dévoiler.
Arthur est celui qui va au bout de la quête mais il n’est pas le seul parmi les chevaliers. Sa spécificité est de passer par toutes les étapes et les épreuves qui vont avec, raison pour laquelle nous allons nous intéresser plus particulièrement à lui.
De nombreux écrits existent, regroupés autour du terme générique “la légende arthurienne”. Parfois des siècles séparent ces versions et, en fonction de la sensibilité de chaque auteur, un sujet ou un autre sera abordé par le biais de tous ces personnages. Nous ne nous baserons pas sur une version spécifique et tenterons de dépasser ces différences en nous appuyant sur ce qui semble être l’essence de cette quête.
La préparation
Cette première étape peut s’étendre de la naissance d’Arthur jusqu’au moment où il extrait de la pierre l’épée légendaire qui porte le nom d’Excalibur. Il est alors à l’âge où, dans les sociétés traditionnelles, s’organise le passage de l’enfance à l’âge adulte sous forme de rites d’initiation. Ainsi l’individu devient responsable et prend sa place dans la communauté avec des droits et des devoirs qu’il se doit de connaître et de mettre en oeuvre.
Revenons un peu sur le début de son histoire : Arthur serait le fils du roi Uther Pendragon et de la femme d’un de ses vassaux, qui se prénommait Ygraine.
Fils illégitime, il sera confié dès sa naissance à une famille de petite noblesse, en ignorant tout de ses origines. Il est alors éduqué dans une grande simplicité et durant toute cette période, il peut s’épanouir dans une certaine naïveté et innocence. C’est dans la spontanéité et l’enthousiasme que grandit Arthur. Il vit paisiblement et se montre droit et loyal. Le temps semble suspendu durant cette période idyllique de l’enfance, dans laquelle il aurait pu rester toute sa vie, prolongeant indéfiniment sa dépendance envers ses parents adoptifs. Il aurait alors bénéficié d’une sécurité et d’un cocon protecteur, mais telle n’est pas sa destinée.
Une autre période débute alors, celle de l’adolescence. Il devient écuyer du fils de ses parents adoptifs. Arrive le jour où il rencontre des chevaliers. Cette rencontre met en lumière un premier passage, ce moment entre deux, où apparaissent les premières insatisfactions qui ne sont pas d’ordre physiologiques ou de sécurité mais d’ordre intérieur et en rapport avec le sens de la vie.
En effet, l’appel de l’âme enjoint Arthur à se mettre en quête, bien que pour le moment, cet appel reste dans le domaine de l’inconscient. C’est en cela que la première rencontre avec les chevaliers fait écho à l’intériorité d’Arthur. L’adolescent qu’il est alors peut stagner indéfiniment dans cette période, censée être un court passage, tant qu’il n’accepte pas la prise de risque consistant à se découvrir aux autres et à lui-même. S’il évite le risque, il reste l’éternel insatisfait, critique et donneur de leçons mais incapable de sortir de sa zone de confort, là où les compétences ne suffisent pas. Le processus qui mène à la maturité, à l’acceptation de soi et à une meilleure compréhension des autres n’est alors pas enclenché. Au contraire, Arthur passe cette étape en se montrant responsable et en assumant le risque de se mesurer à ce qui est inconnu.
S’ensuit une période de questionnements qui, là encore, n’est pas complètement consciente chez Arthur. Par intuition, il prend du recul sur son quotidien. Il se prépare, il fourbit ses armes, son corps évolue et il devient adulte. Il se teste en tant que guerrier et n’hésite pas à se mettre à l’épreuve. Ce faisant, il actualise son potentiel. Il repousse ses limites et en les dépassant, il constate les dégâts que son égo peut provoquer quand il est débridé. Mais Arthur choisit un autre chemin, celui où il commence sincèrement à se corriger pour devenir meilleur, même si sa démarche reste maladroite et approximative.
A la mort du roi Uther Pendragon, ce dernier n’ayant pas de successeur, des guerres fratricides risquent d’éclater dans tout le royaume afin de lui en trouver un. Cela fait écho au moment historique où aucun individu n’incarne la fonction royale qu’est celle d’être modèle, d’être un centre, porteur de justice et d’équité. C’est ici que le personnage de Merlin intervient. Ce dernier représente symboliquement la part d’intuition en Arthur qui le mène à sa destinée. Et en effet, peu après, Arthur trouve l’épée légendaire qu’il extrait du bloc de roche. Le contact avec Excalibur marque le passage où Arthur éclaire son âme et décide de sa voie. C’est aussi le moment clé, où malgré ses erreurs, ses inattentions et les dégâts qu’il a causés de façon non préméditée, la balance penche du « bon côté ». D’autres portes s’ouvrent à lui car il a su faire preuve d’authenticité, d’enthousiasme et de persévérance dans sa quête.
La mise à l’épreuve
C’est avec Excalibur, l’épée magique en mains, qu’Arthur doit maintenant apprendre à donner un sens à son règne. Il quitte sa famille adoptive et fait ses premiers pas sur la voie, celle dont l’âme éclairée donne la direction.
Il fait alors de nombreuses rencontres et se met au service des autres, notamment des plus faibles. Il est dans son rôle de protecteur et tente d’unifier le royaume autour d’un idéal commun. Sa quête pourrait s’arrêter là, pensant qu’il a trouvé sa raison d’être, mais alors il risquerait de tomber dans le piège de vouloir être aimé à n’importe quel prix. Il lui faut prendre à nouveau de la distance pour poursuivre sa quête sans culpabiliser en pensant qu’il a abandonné les autres.
Il se doit de suivre son chemin, qui le mènera au bout de ses contradictions, non par la débauche mais par l’ascèse (le fameux Misogi des samouraïs japonais). Et pour cela, il rencontre à nouveau Merlin (à cette étape, Merlin représente symboliquement la capacité de dialogue intérieur), qui le guide pour aller au plus profond de lui-même. Arthur, étant entré en contact avec son centre, peut penser avoir réglé définitivement les questions en lien avec l’identité et le sens de la vie. Mais ce n’est pas pour autant qu’il a effacé ses ombres et qu’il est parfait. Il avancera dans sa quête en acceptant que le combat intérieur n’est jamais fini.
Arthur commence à intégrer ce que l’on pourrait nommer sa part féminine. A l’épée s’est jointe la fleur. Il apprend les codes de l’amour parfois à ses dépens. Arthur incarne en même temps son rôle de roi en embrassant en conscience une cause supérieure à lui-même. Au château de Camelot, il crée la confrérie des chevaliers de la Table Ronde et il s’ensuit une période faste. Sa soif de pouvoir grandissante lui fait mettre ses meilleurs chevaliers au défi de partir à la quête du Graal sans préparation initiale. Ces derniers se font alors massacrer. S’il reste quelques survivants, la confrérie est décimée. Arthur pris dans son désir d’être le meilleur échoue dans l’épreuve d’être à l’écoute de sa part féminine qui l’aurait amené à plus de tempérance et d’humilité. Tout ceci est aussi marqué dans l’histoire par ses relations difficiles avec la reine Guenièvre et par l’influence grandissante de Morgane, sa demi-soeur, qui en intriguant donne naissance à un fils d’Arthur, Mordred, qu’on peut nommer l’ombre du roi. Arthur est tombé dans le piège de l’orgueil.
Le retour
La plupart des chevaliers sont morts. Ils représentent toutes les projections d’Arthur, du monde qu’il a rêvé et dont il était le centre. Arthur a perdu l’amour de Guenièvre. Mordred, son ombre, a pris du pouvoir et menace son royaume. C’est le moment crucial pour Arthur : il doit accepter la chute, mais pour se relever comme le phoenix. C’est là qu’il doit lâcher tous les oripeaux issus du passé qui l’encombrent. Mordred représente la partie la plus sombre d’Arthur. Si ce dernier s’identifie à Mordred, il s’apitoie sur lui-même et tombe alors dans la déchéance et la désolation. Cela correspond au moment où il jette l’épée magique Excalibur dans un lac. Cette étape, il la passe en laissant mourir l’irresponsable qui pouvait s’exprimer en lui et en acceptant la réalité telle qu’elle est. Ce qui doit être sera et rien ne sert de s’y opposer d’une quelconque manière. C’est à ce moment que Viviane, le pendant féminin de Merlin, lui rend l’épée Excalibur qu’elle a sortie des eaux. Arthur assume alors sa position de centre et instaure un dialogue fécond avec sa part de sagesse. Symboliquement, il est alors porteur d’un nouvel attribut, le livre, qui ouvre dans sa quête les portes de la sagesse universelle.
Arthur renaît et avec, tout ce qui l’entoure. Camelot, le château où le meilleur converge, renaît aussi, peut-être avec un aspect moins brillant qu’auparavant mais avec des fondations beaucoup plus solides. Arthur réalise toujours mieux qui il est, au point de faire un avec sa voie. Cela lui donne de la confiance et de l’énergie, en même temps qu’il mesure à quel point incarner Camelot est exigeant et lui demande tout de sa vie. De nombreux et nouveaux obstacles apparaissent comme pour tester sa détermination. Arthur peut alors s’épuiser et épuiser ceux qui l’entourent à la tâche.
Le lâcher-prise qu’il doit mettre en œuvre consiste à accepter qu’une vie parfois ne suffit pas. Les plus beaux rêves ne verront peut-être jamais le jour même si les moyens et les conditions sont presque réunis. Arthur passe l’étape en arrêtant de vouloir presser le pas. Il apprend à se mettre au diapason des cycles et des saisons et à accepter que certaines choses lui échappent sans pour autant être négligent.
Arthur a rebâti Camelot, il est de retour chez lui avec tous ses attributs. Il semble en paix et organise sa vie pour transmettre son expérience centrée sur la sagesse. Il cherche l’harmonie en lui et partout autour de lui. Une dernière épreuve l’attend. Sa grande clarté de conscience sur lui-même comme sur les autres le pousse à imposer ses choix pour le bien de tous, pense-t-il. La guerre revient au coeur de Camelot et deux armées se font face, celle de Mordred et celle d’Arthur. A cette occasion, des chevaliers qui avaient quitté Arthur, comme Lancelot, reviennent combattre avec lui. Il dispose alors de toutes ses forces pour abattre l’armée ennemie. Le dénouement arrive quand Arthur et Mordred se donnent mutuellement la mort ou quand Mordred est terrassé par Arthur, comme Saint Michel terrasse le Dragon, mais sans pour cela le tuer.
Le fait de garder ouverts deux scénarios concernant la fin de la quête Arthurienne permet d’éclairer deux aspects complémentaires mais bien distincts.
D’une part, sur le plan historique, la mort du Roi Arthur sur le champ de bataille représente la fin de la chevalerie et de l’imaginaire qui lui correspond en Occident. Autrement dit, la position de guerrier ou chevalier perd de son prestige et de son intérêt. Petit à petit, les histoires de guerriers sont reléguées dans les contes et légendes pour enfants. S’y intéresser une fois devenu adulte devient désuet voire puéril compte tenu de l’imaginaire beaucoup plus prosaïque qui prend alors le relais.
D’autre part, dans le cas où la mort d’Arthur comme celle de Mordred restent indéterminées, Arthur représente l’humain qui atteint son sommet de guerrier sage. Il ne cherche plus à imposer une voie sous prétexte qu’il est plus conscient que les autres sur ce qui est bien ou pas. Il peut cohabiter avec l’intelligence comme avec la plus grande ignorance et sans pour cela être indifférent avec ceux qui sont le plus opposés à sa voie. Il est devenu un phare qui éclaire pour tous sans distinction. Guidé par Viviane, sa sagesse intuitive, il peut rejoindre Avallon, le royaume des sages et de Merlin. Il peut aussi, tant qu’il est incarné, faire en sorte que Camelot reflète au mieux Avallon sur Terre. Ici se boucle la quête Arthurienne, une quête universelle en dix étapes, la dixième faisant reflet de la première, mais avec l’expérience du cycle.