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Cycle des Puissants Nomades – 4/7

Le choix de peuples premiers et de sages

  1. Avant les humains, l’importance de se constituer un bestiaire 

Si le récit à propos des Puissants Nomades a commencé par les animaux, c’était, comme précisé, pour leur donner plus d’importance, porter d’autres regards sur eux et notamment cesser de les considérer comme nos propriétés ou des êtres inférieurs. En tentant de révéler ce qui fait leur puissance avec nos propres mots et notre culture, nous ouvrons des portes pour que chacun envisage, voire s’engage à percevoir, pressentir et communiquer autrement avec une partie du vivant. L’idéal serait de contribuer à éveiller des affinités avec ces animaux, à leur faire prendre le statut de modèle et de source d’inspiration. A l’image des enfants dont l’imaginaire et les jeux sont souvent peuplés d’animaux, chez les adultes la constitution de ce bestiaire pourrait être l’acceptation en soi d’une part archaïque1 et profonde. Ne vous est-il jamais arrivé de constater une forme de complicité et de résonance avec un ou plusieurs animaux ? En leur laissant une place de choix, un nouveau rapport à ce règne pourrait se construire, révélant en chacun une véritable parure ou alliage, un rayonnement assumé preuve de liens fraternels et intimes. Ce serait également développer de nouvelles aptitudes, pour rendre opérationnelle et concrète la puissance contenue dans ces “animaux-totem”. Enfin, la reconnaissance d’un tel lien implique, à l’échelle de l’individu et non de la société, une reconsidération du milieu dans lequel évoluent les animaux comme sacré, car les endommager reviendrait à se porter préjudice.

Il est évident que les huit animaux présentés ne sont qu’un petit échantillon des Puissants Nomades du règne animal. Libre à chacun, selon ses propres sensibilités et les terroirs fréquentés, de construire sa représentation d’animaux entrant dans cette catégorie.

Carte céleste du 17e siècle, réalisée par le cartographe hollandais Frederik de Wit.

Dans la même veine, nous proposons cette fois-ci de partir à la rencontre de Puissants Nomades du règne humain. D’abord des représentants de peuples premiers, de ceux qui ont pu se tenir à l’écart du monde-machine avec parfois la nécessité d’incarner un rôle de passerelle entre leur culture qu’ils cherchent à préserver et celle qui domine aujourd’hui à l’échelle du monde. Puis des Puissants Nomades qualifiés de “sages” et parmi eux, huit représentants, peut-être pour faire écho aux huit animaux.

2. Les peuples premiers

Les peuples premiers sont ceux qui ont su garder le lien avec les temps premiers, le temps des origines. En cela, comme les animaux, ils sont un trait d’union avec le passé, les ancêtres, une certaine idée du respect et des égards nécessaires au maintien harmonieux d’un bien-vivre ensemble. Tous sont dépositaires de ce qu’on peut appeler la tradition, à considérer dans son sens étymologique, « tradere », transmettre : ce qui par la mémoire des humains a été transmis de génération en génération. Les peuples premiers nomades savent que beaucoup de choses, et notamment les sols,  ont besoin de se régénérer avec des nécessaires temps de repos donc de non présence humaine. Et s’ils sont sédentaires, c’est toujours en respectant un seuil où l’équilibre est maintenu entre ce qui est pris et ce qui est redonné. 

La puissance des peuples premiers s’appuie sur trois aspects complémentaires. D’abord, le nomadisme amène une forme d’abnégation. En effet, il faut sans cesse reconstruire, partir vers de nouveaux horizons : leur puissance s’appuie donc spécifiquement sur la prise en compte de la fragilité des milieux qu’ils fréquentent. Le second aspect tient ensuite à la force du collectif. Chaque peuple premier est dépositaire de connaissances rationnelles, intuitives et empiriques maintenues par leurs liens intimes avec leur environnement. L’existence d’une vision mythique, de rites et de symboles vivants leur donne une dédicace, une puissance qui se transmet de génération en génération. Enfin, l’autre face de leur puissance relève de la continuité. Les cycles du temps n’ont pas de prise sur le socle de connaissances qui les caractérise. Leurs modes de vie, dont les traits communs principaux sont le juste équilibre et la capacité d’adaptation, jamais n’empêchent tout ce qui constitue leur milieu de continuer à vivre. Fondamentalement, ils n’apportent pas de changement et contribuent à la stabilité de leur environnement tant qu’ils peuvent vivre dans le respect de leurs différences.

Forum des Peuples Racines, Strasbourg 2023

3. Les sages comme Puissants Nomades

Si les peuples premiers apportent ce sentiment d’éternité et de stabilité dans la continuité, et en tirent leur puissance, les sages Puissants Nomades quant à eux questionnent notre présence et notre présent. Ce sont comme des comètes inspiratrices pour féconder nos futurs, s’embarquer dans la grande marche évolutive du vivant. Plusieurs points communs entre ces Nomades permettent de les identifier : 

  • Leur sagesse est toujours le fruit du parcours de leur vie. 
  • Ce parcours est toujours partagée en trois étapes essentielles : une phase de préparation, une phase de mise à l’épreuve avec la migration vers d’autres terres, et enfin une phase dite de retour, pas nécessairement vers la terre d’origine, mais avant tout vers leurs racines profondes et intérieures, permettant alors de relier en boucle toutes les parties de leur vie et lui donner du sens. 
  • Durant la deuxième phase de ce parcours, cette migration est un nomadisme imposé par les circonstances ou par l’individu porté par ses intuitions. Synonyme de déracinement, elle nécessite de se ré-enraciner dans d’autres lieux et cultures. C’est quand la greffe prend que plus tard s’épanouissent les fleurs de la sagesse. 
  • Ces parcours sont comme des ponts tendus faits d’alliages précieux entre deux cultures car capables de révéler l’essence de chacune dans ce qu’elles ont de meilleur comme de pire. C’est en digérant, en intégrant cette essence que se révèlent des impasses mais surtout des voies pour l’avenir. 

Quelle est la source de leur puissance ? Ce rôle de pont entre les cultures qu’ils éclairent en est la source principale. Tous les ponts qu’ils bâtissent sont certainement l’un des lègues les plus importants et originaux de notre civilisation-monde qui bat de l’aile. Dans ces temps de crises où les incertitudes et l’instabilité vont croissantes, s’imprégner de tels parcours peut être précieux pour s’orienter soi-même et répondre à l’injonction commune d’élargir son souci du vivant et des communs – les communs étant tout ce qui, vivant ou non-vivant, est partagé et nécessite d’être pris en considération au-delà de ses propres intérêts. 

Une autre source de puissance les concernant est la raison d’être qu’ils ont su si bien incarner. Malgré les épreuves, les doutes, les faiblesses, les erreurs auxquels parfois ils se confrontent, ce modèle qu’ils représentent est non seulement resté incorruptible, mais, avec le temps, il a fini par briller et être reconnu comme un phare utile et structurant pour tous. Décrire la raison d’être de chacun n’est pas aisé. C’est un peu comme une couleur. Elle ressort d’autant plus qu’elle est mise en présence d’autres. D’où l’intérêt de présenter à la suite huit protagonistes.

Mosaïque des sept sages : Calliope, muse de la poésie épique, entourée de Socrate (au-dessus de Calliope) et des Sept Sages avec leur maxime respective. Issue de la cité antique de Baalbek, IIIème siècle. Musée national de Beyrouth.

Dans ce qui va suivre, parmi le millier de peuples premiers encore vivants, cinq représentants seulement sont abordés. Tout comme parmi les milliers d’animaux nomades, huit ont eu nos faveurs. Tout comme parmi les milliers de sages, huit élus. Imaginons un monde, une culture, une éducation où nos enfants seraient capables d’être porteurs de leur propre bestiaire, de leurs propres collectifs humains, et de leur propre panthéon de sages. Pour commencer, partons à la rencontre d’exemples de peuples premiers, nomades et puissants.

  1.  L’archaïsme dont il est question ici correspond à l’idée qu’en nous réside une mémoire très ancienne, non vérifiable par des faits mais seulement par analogie, correspondance ou synchronicité. ↩︎