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Un nouveau chapitre de la tragédie

Un nouveau chapitre de la tragédie

A propos de la tragédie, Aristote qualifie de “tragique” ce qui purifie les esprits de telle ou telle passion à travers la terreur et la compassion.

Qu’en est-il de la terreur ?

La terreur tragique n’est pas le sentiment personnel que l’on ressent devant un mal physique. C’est la contemplation de l’harmonie cosmique reflétée dans un ordre moral et perturbée par les passions humaines, qui suscite la terreur tragique. Ce type de terreur est rare. C’est un paroxysme en rapport avec des situations exceptionnelles, inédites, graves et touchant un peuple, un pays, le monde. Autrement dit, alors que globalement la santé, la nourriture, la sécurité et l’éducation sont en ordre, un ou plusieurs pans de l’édifice s’écroule(nt) pour des raisons futiles et totalement décalées face à l’ampleur de la situation.

Nous y voilà, à ce genre de situation exceptionnelle.

Le covid19, envoyé funeste du destin provoque de nombreux décès et malades, mais pas seulement. Au fur et à mesure du déroulement du feuilleton des évènements, la dimension tragique se déploie. Aux plus hautes marches de ceux qui sont censés garantir l’harmonie sociale et avec, la santé de tous, les raisons des défaillances sont toujours plus mesquines, petites et effroyablement atterrantes. Les passions humaines les plus basses sont à la barre et dédaignent les conséquences. Quelle incurie !
Alors que petit à petit se dévoile l’ampleur et la gravité de la situation, en même temps sont mis à jour, le carriérisme, l’affairisme, le déni, l’immodestie et au final le manque de clairvoyances et d’anticipation. Comment en est-on arrivé là ?

Ces défaillances ne sont pas nouvelles. Lorsque les gilets jaunes ont émergé, la friction avec la mise en lumière des difficultés concrètes de nos propres voisins a touché tout un pays, et il n’était plus possible de fermer les yeux sur la réalité massive des difficultés d’existence et de subsistance au sein de la population. On était alors comme dans le temps du prologue qui annonce la tempête sans en dévoiler ni le déroulement, ni la conclusion.

La torpille covid 19, dans le rôle du destin, poursuit sa lancée et nous assistons effarés à la mise en lumière des conséquences de nos actes ou de nos non actes passés. Dans son sillage, toujours plus d’incertitudes fleurissent et avec de nouvelles interrogations.

On aurait pu ici citer des noms. C’est tellement plus simples d’en guillotiner quelques-uns et repartir comme avant, comme si de rien n’était. Mais les incivilités et les bassesses ne sont pas seulement l’apanage de ces quelques-uns. Au sein de la population elles se répandent sans retenue. Un autre virus. Que penser des cambriolages de voitures d’infirmières pour récupérer des masques ou encore de la mise au pilori par ses voisins d’un soignant qui accueille chez lui des malades ?
Laissons à chacun le loisir de trouver des centaines d’exemples…

Voyons maintenant l’autre aspect du tragique, la compassion. La compassion tragique n’est pas le sentiment généreux que provoque la vision et le partage de la souffrance d’autrui. C’est ce que nous inspire, dans les moments critiques de leur existence, un Gandhi, un Mandela, un Dalaï Lama (pour ne citer que les plus célèbres mais ils sont nombreux aussi, les anonymes). Alors qu’il serait tellement plus simple pour eux de se protéger ou de capituler, leur dignité morale, fruit de leur probité, brille au-dessus des passions et des instincts grégaires. Leur sens du devoir, leur engagement sincère et sans faille pour le bien commun sont évidents alors qu’ils subissent de très fortes pressions. Leur noblesse intérieure est mise au grand jour et la force qu’ils dégagent rayonne, qu’elle triomphe ou pas des forces régressives et avilissantes qui les entourent. Leur exemple de sacrifice nous interpelle et nous pousse à l’action pour rétablir l’universel équilibre, l’harmonie. Là se situe la dimension de compassion tragique.

Ne nous trompons pas, nous ne faisons pas preuve de compassion tragique quand le soir à 20H nous frappons dans nos mains. C’est bien, mais seulement pour rendre hommage aux soignants et tous ceux qui sont sur le front. De là à nous toucher tragiquement, il y a un fossé énorme. Il nous faut des individus qui incarnent ces grandes tensions, qui restent intègrent et ne fuient pas la place que l’histoire leur donne. Et pour cela, plus que du courage, il faut qu’ils osent incarner une destinée collective.

Pour finir, on peut se poser la question de savoir si les négligences du point de vu de la santé ne sont pas reproduites ailleurs ?
La torpille covid 19 est-elle la seule ?
D’autres ne sont-elles pas en préparation pour les années à venir ?

Par exemple, que penser de la situation des agriculteurs et plus généralement de la production de la nourriture ? Sur ce sujet, les décisions passées, en cours et à venir sont-elles cohérentes ?
Sommes-nous en capacité d’autonomie en cas de grave crise ?
On ne va pas chercher d’exemple même s’il est facile d’en trouver plusieurs, car là aussi, il faut s’attendre à ne pas le voir venir.
Toutefois et pour vous éclairer sur le sujet, on ne résiste pas à la tentation de vous conseiller de revoir en replay l’émission « Pièces à conviction » du 25 mars 2020 sur France TV3 « Les agriculteurs vont-ils sauver la planète ? ».
La scène a changé, ce ne sont plus les décors de la santé mais ceux de l’agriculture. Le scénario est exactement pareil et cette émission dévoile le prologue.

Il est plus que temps de revoir la façon de gouverner et de prendre des décisions. Et sans pour cela se précipiter, il faut certainement faire vite car les Euménides 1Dans la tragédie des Euménides, Athéna, incarnation de la justice, avec l’aide de Zeus, convertit les Erynies
(exécutrices de la sentence de Diké, la loi de justice et de compensation qui rétablit les bons équilibres) en Euménides (les bienveillantes, gardiennes pleines de bonté de la justice et soutien de ceux qui en ont besoin).
sont redevenues Erynies et battent la campagne.
Seules les lourdes portes de l’anticipation, du principe de précaution, de la sagesse et du rapport sujet/sujet plutôt que sujet/objet peuvent encore faire obstacle à leur furie et encore.

Références

Références
1 Dans la tragédie des Euménides, Athéna, incarnation de la justice, avec l’aide de Zeus, convertit les Erynies
(exécutrices de la sentence de Diké, la loi de justice et de compensation qui rétablit les bons équilibres) en Euménides (les bienveillantes, gardiennes pleines de bonté de la justice et soutien de ceux qui en ont besoin).