Catégories
Découverte et incertitudes Films

Le théorème de Marguerite

Dans un monde où il est si difficile de trouver sa place, Le théorème de Marguerite éclaire la poésie d’un parcours, certes difficile et apparemment risqué, mais tellement vivant et inspirant. 

Un conte initiatique signé Anna Novion

Brillante élève en mathématiques, Marguerite vit dans son monde, parmi les chiffres et les formules. Parvenue à la fin de ses études doctorales, elle s’apprête à présenter, devant une assemblée de chercheurs, sa thèse, démontrant pour la première fois l’un des plus vieux problèmes mathématiques jamais résolus : la conjecture de Goldbach. Pourtant, elle est bousculée subitement dans ses certitudes lorsque, suite à une seule erreur, elle perd le soutien de son directeur de recherches. Douée d’une personnalité sincère et intraitable, Marguerite quitte alors tout et plonge dans les eaux de la vie la vie courante, où les besoins physiologiques prennent une part prépondérante. 


Confrontée à un univers qui n’est pas le sien, elle se trouve d’abord démunie puis tente de trouver un équilibre précaire entre sa première colocation et son emploi alimentaire. Alors qu’elle s’adapte peu à peu à son nouveau quotidien, elle décide de repartir seule en quête de la résolution du problème de Goldbach. Pour ne plus subir les problèmes de la vie matérielle, elle s’initie au Mah-Jong1 et, intelligente et stratégique, se retrouve rapidement à gagner des sommes confortables aux tables les plus réputées. Le théorème de Marguerite (2023) est un film drôle et sincère sur une mathématicienne en herbe qui ne peut empêcher sa rigueur de bouleverser chaque situation à laquelle elle est confrontée.

Conjecture de Goldbach. Chaque nombre pair est la somme de différents nombres premiers. Cette image est très présente dans le film car elle donne à Marguerite un nouveau souffle.

Un parcours initiatique

Dans Le théorème de Marguerite, la perspective d’un futur incertain confronte la protagoniste aux limites d’une existence qui se borne à nos rôles sociaux, que ce soit par la perspective de l’exercice d’un métier ou par la poursuite de fins purement matérialistes. Un engagement total dans une voie et une reconnaissance sociale peuvent rendre l’échec inenvisageable ; si toutefois il apparaît, il peut nous faire perdre nos repères et engendrer un déracinement. Faut-il alors persister dans une trajectoire sécurisante et confortable ? Changer de cap peut-il aider à répondre au choix de sa propre intégrité ? 

L’exemple de Marguerite est avant tout l’histoire d’un choix courageux. Elle accepte de quitter les plus hautes instances mathématiques dont elle fait partie, sa recherche ne pouvant se dérouler dans un cadre de dépendance et d’obséquiosité. Seule, incomprise et sans aucun moyen, elle reste, et ce, malgré toutes ses incertitudes, fidèle à sa décision et met en œuvre ce qu’il y a de plus essentiel pour elle : sa recherche.

Faire confiance aux rencontres et à l’Inconnu

Marguerite ne vit pas isolée du monde. Elle accorde sa confiance aux rencontres qu’elle fait en chemin, car chacune contribue à créer les conditions de sa réussite en mathématiques. Le film souligne les synchronicités qui, bien qu’obscures et imprévues jusqu’au bout, façonnent son parcours. Malgré les épreuves, elle reste à l’écoute de ses doutes, lesquels clarifient sa quête et la poussent à accepter ou rejeter alternativement le soutien des autres. Les façons d’être de sa colocataire l’interpellent, et la poussent à envisager un futur différent. On découvre ensuite à travers la figure de sa mère les racines de son histoire avec les mathématiques qui la ramènent à ce dont elle est intrinsèquement constituée. Sa cause juste et sa détermination rayonnent inexorablement, nourrissant sa foi en l’avenir. 

Comprendre le « pourquoi » de son existence permet de supporter presque tous les « comment ». Cependant, ce « pourquoi » dépasse souvent nos capacités intellectuelles, nécessitant une confiance en la vie malgré notre incapacité à  en saisir rationnellement le sens. En affrontant les épreuves et en acceptant les choix impossibles qu’elles engendrent, en lâchant prise et en écoutant, la vie finit par nous parler. Ce n’est pas une simple étape à franchir, mais plutôt un cheminement que le film met brillamment en lumière.

Marguerite jouant au Mah-jong pour gagner de l’argent et payer son loyer, en apparence loin des préoccupations de son ancienne vie de chercheuse à l’ENS.

Un retour au monde d’avant, mais autrement

Marguerite, alors qu’elle pense être sur le point de résoudre le fameux théorème, doute fortement de faire son retour parmi les institutions concernées, n’étant pas motivée par la gloire et la consécration. Cependant, fidèle à sa voie, elle finit par s’affirmer et assumer les conséquences de l’aboutissement de sa quête. Elle est maintenant sûre de ce qui la caractérise et de ce qu’elle est, et n’est plus dépendante de son école ou de son directeur de recherches. Elle peut à présent partager sa passion et contribuer sainement au monde des mathématiques. 

Ce parcours initiatique peut survenir à n’importe quelle étape de la vie, à tout âge, que ce soit pendant les études ou dans la sécurité d’un emploi. Il peut même se reproduire cycliquement dans une vie. Face à son futur incertain, Marguerite accepte de considérer l’arrivée du Mah-jong et de son ancien rival comme une opportunité. Cela l’aide à se recentrer sur ce qui est essentiel, sa recherche en mathématiques, et à s’y ré-enraciner. Finalement, cette prise de conscience confronte notre rôle social à la nécessité de faire des choix responsables. Cela nous amène à identifier les leviers de motivation qui permettent d’agir dans cette direction. Dans un monde où il est si difficile de trouver sa place, Le théorème de Marguerite éclaire la poésie d’un parcours, certes difficile et apparemment risqué, mais tellement vivant et inspirant. 

  1. Jeu de société très populaire en Asie Orientale s’apparentant au rami ou au poker. ↩︎
S’abonner
Notification pour

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires